Le retour de Mme Verveine

Publié le par Marmotte

Le retour de Mme Verveine

J’ai laissé Madame Verveine en novembre pour la pose d’un pacemaker. Après un séjour à l’hôpital compliqué, puis rallongé par une vilaine bronchite, son retour est organisé ! Pendant la période de son hospitalisation, je suis restée en lien avec son fils et sa belle fille pour prendre des nouvelles et lui faire transmettre mes amitiés et mes bisous. Je les aide donc à tout mettre en place et les conseille au mieux.

Ce qu’il faut savoir, c’est que Madame Verveine ne reviendra pas, hélas, dans les mêmes conditions. Il lui faudra un lit médicalisé. Elle ne marche plus… C’est souvent le cas pour les "retours d’hospitalisation" comme on dit, car les infirmières disposent de trop peu de temps pour prendre le temps de les lever et n’ont pas de kiné à disposition non plus. Alors à leurs âges, le muscle s’atrophie à une vitesse vertigineuse. Résultat : les jambes ne les portent plus ! Notons que Madame n’a jamais eu un gros appétit et qu' elle mange donc très peu, ce qui n’arrange rien .

Il faudra aussi organiser avec l’Aquarelle, trois passages par jour au lieu d’un par semaine. Il faudra lui préparer le repas, lui faire un change. Je leur fournis le cahier de liaison ; Leur donne tout un tas de petites astuces pour faire en sorte de simplifier la tâche de tout le monde, la leur et la notre, afin d’éviter les pertes de temps et les loupés.

Il s’agit alors de prévoir, près du lit et à portée de vue des intervenantes, tout le nécessaire pour le change : Lingettes, coton, crème, protection, gants etc. ; De mettre des post-it dès que nécessaire pour donner des infos particulières (sur les portes de placards par exemple), prévoir suffisamment de clés à donner au bureau pour ne pas risquer qu’un passage ne soit pas effectué par manque de clés (si si, ça peut arriver !). Je leur donne les coordonnées de ma kiné, une jeune femme douce et charmante qui lui conviendra très bien. Bref, tout est prêt, Madame Verveine va enfin pouvoir rentrer chez elle !

Quelques jours plus tard, je reviens pour la première fois depuis près de deux mois. Je suis impatiente, émue et évidement très contente. Après avoir salué sa belle fille et échangé quelques informations, je grimpe les escaliers, j’ouvre la porte… Je lui lance mon habituel "Bonjouuuurrrr Madame Verveine !". Elle hésite et me répond "Bonjour Madame". Elle ne me voit pas. Elle est couchée dans son lit médicalisé. Elle pense reconnaitre ma voix mais, dans le doute, elle attend de voir mon visage. Je reste quelques secondes, là , sans bruit, derrière son lit en espérant la retrouver presque comme avant… Je prends une bonne inspiration, mon sourire est prêt et moi aussi. Elle me voit. Son visage s’éclaircit, ses lèvres s’écartent et à son tour, elle m’offre un beau sourire. Immédiatement je l’embrasse avec joie.

Elle a en effet maigrit. Les traits de son visage sont plus tirés mais je la retrouve, et je retrouve ses yeux pétillants. Je lui lance "AAAHHH ma Normande préférée ! Vous m’avez manqué…". Nous sommes contentes de nous retrouver mais je m’attache à faire comme avant ; Parler et blaguer comme si rien n’avait changé. Ce qui me rassure et me fait plaisir c’est que, malgré son petit corps affaiblit, elle a conservé toute sa tête. Il y a un petit fauteuil roulant à coté de son lit. Il est petit et tout léger comme elle. Je lui propose un transfert afin de pouvoir l’emmener avec moi dans la cuisine, le temps que je prépare son repas et elle accepte. Le transfert est difficile car elle ne tient presque pas sur ses maigres jambes. Je la prends dans mes bras pour la soutenir et je lui dis que, comme elle m’a manqué, je lui fais un gros câlin et que pour avancer, nous allons danser un slow. Je dédramatise la situation en essayant de l’amuser. Une fois installée dans son fauteuil de poupée, je l’emmène donc à la cuisine avec moi. Madame a toujours eu l’habitude de me suivre pour que notre conversation puisse se poursuivre. Chaque fois que je changeais de pièce, j’entendais le bruit de son petit pas étouffé par la moquette qui arrivait quelques secondes après moi. Je respecte donc cela, d'autant que j’apprécie davantage de m’affairer dans la cuisine en sa compagnie, plutôt que seule.

Madame est rentrée mais me fait très vite comprendre que c’est dur. Tout est bouleversé. Elle est bien chez elle mais elle n’a plus les mêmes repères. Elle m’explique... Son visage s’assombrit et ses yeux se remplissent de larmes. La vérité, c’est que Madame Verveine n’a pas gros moral ! Je m’agenouille aussitôt près du fauteuil, j'essuie ses joues, prend ses mains et lui explique que c’est bien normal tout ça mais que ça va rentrer dans l’ordre ; Et puis la Kiné va venir, elle va remarcher ; Mais qu'elle doit aussi manger pour retrouver un maximum de forces et de tonus. Les larmes séchées, je l’embrasse. Elle me fait un petit sourire, pour me faire plaisir plus qu’autre chose, mais son regard est encore triste.

Le temps s’écoule malgré tout ; Les jours puis les semaines, ponctués par mon passage du vendredi que nous attendons toutes deux. Je viendrai bien tous les midis chez Madame Verveine mais, à cette heure, j’ai déjà Madame Tournesol… Seul compromis possible le vendredi : Venir à 11h ! C’est tôt pour manger. Surtout pour quelqu'un qui n’a pas faim… mais c’est le seul créneau disponible dans mon emploi du temps alors madame ne dit rien. Elle m’accueille toujours avec sourire et bonne humeur. Au fil du temps, elle s’est faite à sa nouvelle condition, ou du moins, elle s’est adaptée au mieux.

Quand j’arrive, elle est toujours couchée dans son lit, face à la fenêtre qui donne sur un petit bâtiment. J’aimerai bien qu’elle ait, ne serait ce qu’un arbre dans son champs de vison, pour pouvoir regarder les branches et les feuilles bouger, se colorer au fil des saisons, y voir le vent ou le soleil. Le béton a cela de désespérant qu’il est parfaitement et lamentablement immobile, quelles que soient les saisons, quelle que soit la météo, il reste gris, tristement gris… Alors je la retrouve chaque fois les yeux rivés sur ce gris. Elle n’allume la télé qu’en fin de journée et je me demande à chaque fois à quoi elle peut bien penser… Vers quel drôle d’horizon son imagination la mène des heures durant. Refait-elle tout le film de sa vie ? A qui, à quoi pense t-elle ? Le temps parait si long lorsqu’on est les yeux dans le vague aussi longtemps... C'est du moins ce qu’il me semble ; Moi qui cours partout !

Heureusement, à mon arrivée elle s’anime. Elle parle, elle rit toujours de la même façon, un rire trop mignon, touchant, simple, parfois la main devant la bouche, ricanant comme une enfant à une bêtise que je viens de lui raconter. J'essaye de la stimuler pour manger mais c’est presque peine perdue, "Ça ne passe pas hein…" me dit elle. Je n’insiste guère plus que quelques bouchées avant de lui donner un morceau de camembert car je sais bien que la normande qu’elle est ne peut pas me le refuser et nous nous en amusons. En partant je lui laisserai un goûter ; Des fruits selon la saison, un petit gâteau mais surtout, elle ne manquera pas de me rappeler de vérifier qu’il reste bien un peu de chocolat à sa portée. Ça me fait sourire et je me dis que c’est tant mieux. Cette petite gourmandise conservée c’est très bon signe !

Lorsque je procède au change nous continuons à parler et elle suit toutes mes consignes. Elle se prête très bien à l’exercice. Elle est tellement légère qu’elle n’a pas trop de mal à se tourner ou à soulever son bassin. Cela dit, je ne manque jamais de la féliciter pour son excellente participation à cette séance de gym pour elle.

Elle m'a manqué Madame Verveine.

Publié dans Mon jardin

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