Les gosses des vieux

Publié le par Marmotte

Les gosses des vieux

On connait bien "nos" vieux. Ceux dont on s’occupe régulièrement voire quotidiennement. On connait aussi les bibelots, les calendriers improbables de 1987 toujours accrochés au même mur depuis tant d’années, la vaisselle, le linge de maison, l’intimité et puis les photos. Les vieux aiment bien avoir des photos de leurs gosses et des gosses de leur gosses un peu partout. Moi, j’aime bien regarder les photos avec eux mais j’aime surtout quand ils les commentent. Avouons que chez certaines personnes, dont la pathologie a entamé les souvenirs et les visages, il est parfois difficile de s’y retrouver. Qu’importe, ils sont toujours beaux et souriants sur les photos.

Ce qui est drôle, c’est quand un beau jour, un de ces portraits prend vie et qu'un visage n’est plus figé lorsqu'il apparait de derrière la porte d’entrée... "Diantre ! Le gosse du vieux !"... Celui là même que je vois depuis des mois, enfermé dans son cadre !!!

Le gosse fait donc son entrée. En fait, il est souvent plus vieux que moi. Il embrasse son vieux ou sa vieille et là, on découvre une face cachée de la vie de nos petits vieux. Les petits surnoms ou pas. La joie de se voir ou pas… Cette intimité si particulière entre un parent et son enfant. On les observe à la dérobée et on imagine le gosse petit et le vieux en jeune !

A ce stade des vies de chacun, le plus souvent, c’est le gosse qui commande son vieux. Les rôles se sont inversés au fil du temps : "Dis donc papa !!! T’as pas un autre polo que celui là ?? franchement il est tout élimé, tu exagères ! Et celui qu’on t’as offert à Noël ? Hein ? il est où ???"...

Oh mais le vieux, Il s’en fout, lui, de ce polo ou d’un autre. Pire : Il est même mieux dans celui là ! Bah oui, il est vieux comme lui ce polo, alors ils sont bien ensemble ! Le gosse cherche à se justifier face à l’air débraillé de l’ancien "Pff ! On dirait un clochard… Il ne veut jamais mettre les autres neufs, c’est fou ça !".

Et puis il y a les gosses qui vivent avec leur vieux, qui sont les "aidants" comme on dit dans le jargon. Il ou elle s’occupe de presque tout, assurant une présence permanente. C’est un soulagement lorsqu'on intervient. Ne serait-ce que pour une toilette, on leur enlève un poids. On parle avec eux, ils sont reconnaissants, souvent enfermés avec leur vieux par peur de les laisser seuls et qu’il arrive malheur. Ceux là méritent des médailles d’or du courage et du sacrifice.

Il y a les gosses qui vivent non loin, avec un amour que l’on sent immense, un soucis de son vieux ou de sa veille. Leurs numéros de téléphone sont inscrits partout au cas où nous aurions un soucis. Ils font les courses, leur apporte des plats qu’ils ont préparé eux mêmes, gèrent les rendez vous avec les médecins, les papiers… Quand ils arrivent, ils embrassent tendrement de même à leur départ. Ils veillent à ce qu’il ne manque rien, demande comment ça va. Ils appellent tous les jours, ils sont chaleureux et aimants. Il y a des "maminette" par ci et des "mon p'tit papa" par là… C’est touchant, tellement touchant ! Je me dis que, quand je serai veille, j’aimerai bien que mes gosses soient comme ça.

Il y a les gosses fantômes. Ceux dont il y a à peine le portrait. Ceux dont on ose même pas parler… Parfois ce sont les vieux qui en parlent en premier pour dire que ça fait des années qu’ils ne les ont pas vus. Plus de nouvelles, fâchés, disparus en quelque sorte… Ils nous racontent une histoire dont il nous est impossible de savoir si tout est vrai. A part hocher la tête, prendre un air navré, que dire face à des gens inconnus avec une histoire qui nous est tout aussi inconnue ? On ne saura jamais…

Et puis il y a une catégorie de gosses avec qui il m’est arrivée de me demander, comment des vieux si gentils ont pu engendrer de tels connards !??

Parfois, on se dit que nous même on est là, à une période donnée et qu'on ne sait pas vraiment comment était le vieux lorsqu’il était jeune. Peut être que lui aussi était un connard ?

Et puis il y a ceux ou celles dont on sait qu’en effet, ils ont tant donné à leurs gosses que leurs gosses leur reprennent bien encore bien volontiers. Parfois on arrive à sentir l’odeur suintante des billets qui attendent de migrer vers le compte en banque du gosse. Ils viennent non pas par amour mais par intérêt... J’ai eu parfois le cœur brisé face à certains gestes qui me semblent, pour ma part, d’une grande violence. Une violence sans bruit mais qui tue lentement. Presque naturelle…

Comme ce gosse qui, pour fermer les portes du salon afin que je procède à une toilette intime et mise en chemise de nuit de sa veille, donne un élan dans le fauteuil roulant pour dégager la fermeture de la porte. Le fauteuil a continué sa route, seul, sans aucune main bienveillante pour le guider... La vieille n’a pas eu l’air surprise. De toute évidence, habituée, elle s’est laissée rouler, sans mots dire, jusqu’à ce que le fauteuil s’arrête.

J’ai vu la scène, médusée et profondément choquée. Je pense même que j’avais la bouche ouverte ! J’ai regardé le fauteuil, la porte fermée et le gosse derrière qui rejoignait la cuisine tout à fait normalement... Il a poussé le fauteuil comme si personne n’était dedans !!

J’aurais aimé ne jamais assister à ça. D’autant que c’est une femme que je connais très bien et que j’apprécie énormément. Purée ! Ce jour là, j’ai vu que son gosse était un connard ! Mais Dieu merci ! Elle en a un autre qui n’est pas comme ça.

Et puis un autre vieux, avec trois gosses. Trois connards ! Je ne les ai pas vus de suite, mais j’ai compris pourquoi il s’en plaignait régulièrement et qu’il préférait qu’on parle d’autre chose.

Mais qu’ils soient gentils, désagréables, aimants, reconnaissants, bienveillants , intéressés, les vieux parlent toujours de leurs gosses !

Publié dans Mes coups de gueule

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