Madame Verveine,

Publié le par Marmotte

Madame Verveine,

C’est au mois de janvier que je découvre mon trésor de Verveine, pour un passage de 2 heures tous les vendredi matin (Juste après M. et Mme Bégonias). C’est une dame adorable de 90 ans et des… poussières ? bananes ? Enfin comme il vous plaira, donc peut être 92 ou 93 ans. Elle est petite, menue et vraiment charmante. Ce petit nom que j'aime lui donner, lui va très bien. Elle est douce et apaisante comme une bonne tasse chaude de verveine.

Pour arriver chez Madame, je dois passer par le magasin de sa belle-fille qui est, elle aussi, très sympathique. Elle m’accueille toujours avec le sourire et une bonne poignée de main. Nous papotons un peu et je demande toujours comment se sent Madame Verveine avant de monter. Je gravis les deux étages, j’ouvre la porte et je m’annonce. Madame est là, nichée dans sa robe de chambre car elle attend le passage des aides soignantes pour sa toilette.

Je l’aime bien Madame Verveine. Elle est de très bonne compagnie. Nous parlons toujours beaucoup et c'est de cette façon que nous avons parlé de la Normandie, nous découvrant un point en commun et pas des moindres. La Normandie est sa région natale tout comme la mienne ! La Normandie, c’est toute mon enfance et lorsque nous parlons des villes de la région, je m’aperçois que nous sommes du même coin ! Elle connait le village où j’ai vécu les meilleurs moments de mon enfance. Parler avec Madame, c'est voir passer dans ses yeux des pommiers, un pot de crème fraîche, des vaches et une montgolfière… Nous nous réjouissons toutes les deux de ce point commun. Il faut dire que nous résidons maintenant à 200 kilomètres de la Normandie...

C'est donc tout naturellement que nous prenons un réel plaisir à nous voir et quand j'arrive dans l'escalier, lançant un "Bonjour Madame Verveine !", elle me répond aussitôt "Bonjour Marmotte". Elle connait parfaitement ma voix et sait qui je suis avant même que j'apparaisse. Madame aime me faire des compliments et me proposer un peu de chocolat avant mon départ ; Ce que ma gourmandise ne saurait refuser !

Madame Verveine a un autre petit truc à elle. Elle me laisse un porte monnaie rouge avec un peu d’argent. Ainsi, avant de la rejoindre, je lui prends une baguette et demie et son Télépoche. Dans ce porte monnaie, il y a un petit papier avec son nom et son numéro de téléphone. Et j'aime ça ! J’adore cette fraîche insouciance, qui consiste à penser que, si son porte monnaie venait à s’égarer, alors quelqu’un pourra l’appeler pour le lui rendre.

Ces derniers temps, Madame est très fatiguée et elle bascule inexorablement vers une dépression. Malheureusement bien connue des professionnels, la dépression de la personne âgée est bien plus fréquente que nous pourrions le penser.

Chaque matin, à mon arrivée, Madame se lève pour m'accueillir ; Je lui demande chaleureusement comment elle va et je l'embrasse. Mais pas ce matin là. Ce matin là, elle me répond de sa chambre. Elle ne se lève pas. Ces derniers temps, Madame Verveine reste couchée en attendant que nous arrivions, les aides soignantes ou moi-même. Alors, après m’être débarrassée de mes affaires, chaussures et ce foutu gros sac, je m’assieds sur le bord de son lit.

Elle est sur le côté, tournée vers moi. Sa joue est encore collée à son oreiller et la couverture rabattue jusqu’à ses frêles épaules. Je prends sa main dans la mienne et la caresse doucement comme pour l’apaiser. Je lui parle et lui demande ce qui ne va pas. Elle me lâche alors un long "Argfff " et je sens, là dedans, quelque chose qui ressemble à un "J’en ai gros sur la patate". Si elle avait ce genre de langage, la traduction serait pareille à "Mouarfff ! Ch'uis saoulée là ! Ça m'fait chier, je m’emmerde !"... Bref, Madame n’a pas un gros moral et elle me dit qu’elle dort mal. Elle a des angoisses la nuit et cette pensée me bouleverse.

Il faut dire que Madame a perdu son mari il y a 3 ans et elle en parle très souvent. Et surtout ! Surtout l'impensable ; Le drame de toute une vie, le moche, l’affreux, le douloureux : Elle a perdu un enfant, son fils ainé ; Il devait avoir à peine 20 ans ; Renversé par un chauffard alors qu’il marchait sur un trottoir. Cette pensée me glace le sang. Imaginez ce qu’elle a dû ressentir… Je l’écoute donc attentivement. Je sens qu’elle en a besoin... Et puis elle n’en parle pas souvent alors elle profite.

Néanmoins, j'essaie toujours d’égayer notre moment, de lui parler d’un tas de choses, de moi, de la Normandie, de ma famille. J'essaie de la faire rire. J’aime bien quand Madame Verveine, met sa main devant sa bouche pour ricaner. Elle trop mignonne ! Ses épaules se secouent au rythme de ses petits rires.

A l’heure où j’écris ces lignes, Madame Verveine est hospitalisée depuis dix jours maintenant. Elle a eu la pose d'un pacemaker. Elle était si fatiguée la dernière fois que je l’ai vue… Une anesthésie à cet âge n’est pas sans danger et j’espère la retrouver vite et surtout en forme…

Je l’aime bien Madame Verveine.

Publié dans Mon jardin

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